Le souffle

Les aiguilles tournent et il est déjà presque minuit.
Le président certes, ô combien acteur, dans cette soirée, prend du recul et observe goulûment ses partenaires. Il est le seul témoin du temps et des hommes qui l’ont parcouru.
Ces personnalités en chair et en os, venues du passé, sont là sous ses yeux ; elles boivent, mangent et échangent leurs idées, formulent leurs propositions. Ce roi, cet empereur, ce général ont balayé les siècles et les périodes avec grand intérêt.
D’un air semble-t-il détaché, mais aussi attentif, ils ont décrypté, commenté, analysé des événements dont depuis longtemps, ils ne sont plus maîtres. Ils ont posé un regard à la fois neuf et expérimenté sur ce qui fut leur temps et sur ce que sera le nôtre.
Un roi, héritier du droit divin qui incarne le pouvoir absolu.
Un empereur, issu de la Révolution qui sut pratiquer le « despotisme éclairé » inspiré de Voltaire.
Un général, légitimé par le pouvoir de dire non à l’envahisseur.
Tous trois, différents et venus de leurs époques et régimes respectifs, ils pouvaient se disputer, se critiquer, s’invectiver, mais également se flatter, se glorifier. Il n’en est rien.
Émus, surpris, admiratifs, ils s’interpellent et se questionnent mais toujours dans la dignité et le respect. Ils ont un point en commun : c’est d’avoir oeuvré pour la France et sa place dans le monde, dans des contextes différents mais toujours avec le souci de la grandeur de l’État.
Nous sommes là en présence d’hommes illustres à l’esprit et au comportement à la hauteur de leur rang.
Le président ne se lasse pas de ces échanges et débats, d’autant qu’il sait qu’il n’aura que peu d’occasions de renouveler de telles rencontres.
C’est alors que plane comme un souffle intemporel, les voix sont sereines et chacun intervient naturellement, avec calme, recul et philosophie. On les sent comme libérés de l’action que fût la leur, disponibles à la réflexion et la méditation. Leurs responsabilités et le poids du pouvoir appartiennent au passé. Forts de leurs expériences et de leurs vécus, ils semblent entièrement disponibles pour nous insuffler la sagesse, la raison et le véritable sens de la vie. Le recul que le temps offre à ces hommes de pouvoir leur permet de mieux contempler par leur propre réflexion, l’immensité des évolutions qu’ils constatent.
Personne d’autre, venu d’aussi loin, fort de leur expérience ne réfléchit de la sorte.
Au regard de leurs bonnes volontés, de leurs souhaits pour leurs peuples, de leurs sacrifices, mais aussi de leurs orgueils, tentations et égarements, chacun d’eux avait de bonnes intentions et le souci de développer la liberté, l’égalité, la justice.